La cellule Europe


Consortium sur la remédiation #3 - L'Autriche (février 2018)

Nous sommes allés en Autriche en février 2018 dans le cadre du Consortium sur la remédiation, Plus précisément, le choix des organisateurs s’est porté sur la ville de Vienne, en raison du taux élevé d’allochtones dans cette ville, capitale d’un pays généralement présenté par la presse comme particulièrement hostile aux « étrangers ». L’objectif était de voir comment les écoles viennoises se débrouillaient avec ces taux massifs de migrants dans leurs écoles.

Mais tout d’abord un mot sur le système éducatif autrichien.

a l'aéroport
Notre groupe sur le départ
Sélection précoce

L’enseignement primaire dure 4 ans, et va de l’âge de 6 ans à 10 ans. Pour l’enseignement secondaire pour faire simple, disons qu’il est subdivisé en deux catégories :

  • le collège, qui prépare à l’enseignement technique principalement
  • les écoles d’élite : le secondaire général

Au collège, la scolarité s’étale sur 4 ans plus une année polytechnique préparatoire au secondaire supérieur professionnel (donc de 10 à 15 ans). Cet enseignement plus axé sur les métiers manuels et techniques accueille dès l’âge de 10 ans, 80% des élèves. L’enseignement secondaire supérieur est très majoritairement du type CEFA (alternance), dure 3 ans, à raison d’un jour à l’école et quatre jours en entreprise. Lorsque les élèves viennent à l’école, ils poursuivent leur formation pratique, et ont quelques cours théoriques (maths, allemand, anglais). La certification se déroule devant un jury de professionnels, et le poids des cours théoriques y est donc très minime.

cuisine
Cours de cuisine

Les autres 20% d’élèves restant entrent à 10 ans dans l’enseignement général, organisé en 2 fois 4 ans, secondaire inférieur et supérieur. Au terme de cet enseignement, l’élève qui réussit obtient un niveau A, ce qui lui permet d’aller à l’université.

On appelle ces écoles des « grammar schools », ou écoles d’élite. Dans ce type d’école, on part du principe que l’élève doit pouvoir se débrouiller, et que s’il ne suit pas, ses parents lui payeront des cours particuliers. Nous n’avons pas visité ce type d’école, puisque notre but était d’aller observer des manières de remédier dans des écoles peuplées d’élèves moins favorisés socialement.

Approche de la remédiation

Tout d’abord le cadre. Il est interdit, pour une école, de laisser un élève perdre pied sans interpeller les parents, les convoquer, et élaborer avec eux un plan de sauvetage pour l’élève, c’est inscrit dans la loi, c’est décrétal, et ce même pour une seule matière. Si un enseignant voit qu’au lieu de progresser un élève régresse, c’est de sa responsabilité de convoquer les parents. Si le problème touche plusieurs matières, les professeurs rencontreront les parents à plusieurs. Ne rien faire est répréhensible.

Au-delà de cette responsabilisation des enseignants, qu’est-ce qui est mis en place ?

Il faut savoir qu’à Vienne, 50% des élèves ont une autre langue maternelle que l’allemand. Ceci demande, inévitablement, une réponse, de la part de toutes les écoles.

Alphabétisation et enseignement de l’allemand
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Cours d'allemand

Pour parler de la remédiation, j’ai choisi de prendre comme point de départ la situation la plus difficile, la plus radicale, celle d’un élève migrant qui parle une tout autre langue, et qui n’a jamais été scolarisé. Nous passerons ensuite et graduellement à des situations moins extrêmes.

Prenons donc le cas d’un migrant qui débarque, et qui n’a jamais été scolarisé dans son pays en guerre, qui est donc totalement analphabète. Il sera pris en charge pour un cours d’alphabétisation. S’il a déjà été scolarisé, il sera pris en charge dans un groupe qui va apprendre à lire l’allemand et à le parler. Ce qui est intéressant dans la démarche, c’est que la « remédiation » se focalise sur des compétences, plutôt que sur des points de matière, c’est donc du travail de fond. Ce sont des migrants, professeurs certifiés dans leur pays d’origine, qui donnent ces cours. La Ville de Vienne bénéficie d’un programme européen qui cartographie les compétences des migrants et alimente les écoles en enseignants de nationalités diverses afin d’y dispenser des cours ou d’assister les enseignants germanophones. La durée de la prise en charge dans cette classe d’allemand est variable en fonction de la situation de chaque enfant, mais dès qu’il est opérationnel en allemand, il va rejoindre des enfants de sa classe d’âge dans des classes ordinaires.

Comment aide-t-on les migrants dans la classe ordinaire
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Une classe ordinaire

Le principe est simple : le team teaching. Ils travaillent à plusieurs (2, 3, voire plus d’enseignants) dans des classes de plus ou moins 25 élèves maximum. Il y a un enseignant germanophone et un ou plusieurs aides turcs, syriens, etc, en fonction des besoins dans la classe. Ces professeurs immigrés, certifiés dans leur pays d’origine, assurent une présence discrète et efficace dans la classe en prenant en charge tous les petits soucis des élèves allochtones. L’assistance, la remédiation, sont donc immédiates. En plus de cela, dans une des écoles visitées, 11h par semaine, ces élèves sont pris en charge dans un plateau de remédiation (du type de celui pratiqué chez nous), en maths, anglais, et allemand, mais à nouveau par des professeurs allochtones certifiés dans ces disciplines. Ceci permet à un migrant turc de s’approprier les concepts mathématiques, par exemple, dans sa propre langue d’origine, et de faire le lien avec ce qu’il avait appris en classe, mais… en allemand. Chaque enfant a le droit, c’est inscrit dans la loi, de recevoir une part de son enseignement dans sa langue maternelle… A la demande des parents de l’élève, la certification peut aussi se faire dans la langue maternelle.

Et les autres élèves ?
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Une autre classe

Au-delà de la question des migrants, qu’en est-il des autres élèves qui auraient des difficultés ? Le principe est le même : team teaching. Nous avons eu l’occasion de suivre une partie d’un cours d’espagnol dans l’enseignement secondaire, dans une école à niveau socio-économique très faible, mais qui a développé un projet lié aux langues. Le cours d’espagnol y est donné par une Espagnole, « native speaker », mais dans la classe se trouve un professeur d’espagnol de nationalité autrichienne, qui se tient en retrait et assiste les élèves qui en ont besoin. Cette formule allie la qualité et l’authenticité de la langue parlée par l’enseignant avec le savoir-faire d’une germanophone qui sent où se trouvent les difficultés pour apprendre l’espagnol, puisqu’elle a dû rencontrer les mêmes difficultés dans son passé scolaire. On est dans de la prévention de micro-décrochage ici, on peut dire qu’on est dans l’anticipation de la remédiation.

Réseautage et chaînons manquants

Dans cette même école à faible niveau socio-économique, la manière de faire nous a paru particulièrement efficace sur le plan des apprentissages. Une des clés de la politique de cette école était les liens très forts entre les directions de l’école primaire et secondaire, avec des enseignants partagés dans certaines disciplines, qui sont souvent les « missing links » (chaînons manquants) entre le primaire et le secondaire. Ceci favorise les transitions, l’adaptation des enfants et la cohérence dans les manières de faire et d’enseigner. Autre réseautage intelligent : alors que l’on a souvent tendance à considérer l’autre école comme « rivale, concurrente », dans le cas présent, la directrice de ce « collège » s’est mise en lien avec la direction d’une école d’élite voisine (grammar school) en vue de collaborer et d’être complémentaires, et ici aussi, les deux écoles se partagent l’un ou l’autre enseignant. Plutôt que de critiquer ou nier ce qui se passe ailleurs, elle est allée y chercher le niveau d’exigence élevé, et tente d’amener ses élèves au niveau attendu dans l’école « d’élite », ce qui est facilité par le fait qu’il y a des enseignants en commun, enseignants qui serviront de points de repère à l’élève, s’il change d’école. Sur une population de 250 élèves, il y a cette année 12 élèves qui en fonction de leurs notes, pourraient changer d’école et avoir le niveau.

Une évolution pour chacun

L’objectif est d’amener chaque élève plus loin, pas de vouloir la perfection ou le top pour chacun, on peut parler d’objectifs... aisonnables, atteignables pour les élèves, qui finissent, marche après marche, par atteindre le niveau attendu. La différenciation se fait dans les objectifs, et donc forcément, dans les apprentissages.

Apprentissages ou évaluations ?

Il y a beaucoup moins d’évaluations que chez nous, et globalement, l’évaluation est graduelle, à savoir peu présente lors des premières années, mais plus importante en 3e et 4e années. Cette évaluation est ciblée et touche principalement les maths, l’allemand et l’anglais. Enfin, elle est souple, dans la mesure où les maths peuvent se certifier dans la langue maternelle de l’élève. Etonnamment, les niveaux des élèves, notamment en anglais, étaient très très bons, et pour communiquer en live sur etwinning, des élèves de 4e, 5e, 6e, chez nous seraient épatés par la fluidité et la qualité, le niveau de complexité de l’anglais, chez des plus jeunes en Autriche…

La part des langues

Il est vrai que l’anglais est enseigné dès le début de l’école primaire, et que cette langue est pour eux une langue de communication naturelle. Mais c’est plus que cela. L’apprentissage d’une seconde langue renforce la plasticité cérébrale, et les connections qui se jouent dans ces apprentissages ont des effets bénéfiques sur d’autres apprentissages. Outre l’avantage aussi que procurera à terme une bonne connaissance d’une seconde langue dans le monde de l’emploi, l’usage d’une autre langue que la sienne est un vecteur de citoyenneté : apprendre à utiliser la langue d’un autre, c’est le reconnaître, lui donner une place, et c’est un outil efficace contre la violence. En apprenant l’anglais, tous, migrants et autochtones, partagent une autre langue qui leur est commune.

Apprentissage par projet
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Une classe ordinaire

On ne traite pas, à proprement parler de remédiation, quand on parle de projet, mais plutôt d’anticipation sur l’ennui, et donc de motivation. L’enseignement que nous avons vu dans une école était fortement structuré autour de projets, plutôt qu’autour de contenus-matière à voir, le projet étant un moteur dynamique pour motiver les élèves et leur dispenser un apprentissage qui de prime abord n’apparaît pas aux élèves comme un xième catalogue de points de matière à assimiler.

Autonomie

Les écoles secondaires bénéficient d’une certaine autonomie et peuvent développer des projets spécifiques. Une des écoles visitées organisait une formule qui combinait, outre les cours dispensés obligatoirement dans chaque école, de l’espagnol, de l’informatique, et du sport. Une autre école pourrait proposer de l’éducation artistique, plus de sciences, etc.

La formation des enseignants

Il y a un bac en quatre ans. Au terme du bac, l’enseignant peut travailler, et la plupart le font, mais avec une forte incitation de la part de leur direction, à passer le master, qui dure un an, dans les cinq ans à dater de la délivrance du bac. Cette année de master est une spécialisation, par exemple dans une approche artistique, ou dans l’aide aux élèves à besoins spécifiques, etc. La formation continuée est donc déjà ancrée dans la formation initiale, et paraît tout à fait naturelle, d’autant plus que pour ce faire, les enseignants disposent de centres de compétences pour les enseignants, où ils peuvent aller se ressourcer, travailler ensemble, suivre des formations, et en somme apprendre toute leur vie. La formation continuée est bien présente là, mais présente l’avantage d’être visible, d’exister sur la carte, et donc d’être un point de rencontre, d’échange, de partage, de convergence pour les enseignants. Il existe par exemple un centre de compétences pour le multilinguisme.

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Notre groupe